Viktor Orban : provocateur ou réaliste ?

Hongrie/Ukraine/Russie/UE – Si la présidence tournante du Conseil de l’Union Européenne était actuellement détenue par un pays qui se prétend démocratique et respectueux des valeurs européennes et s’il était venu à l’idée de son titulaire de rencontrer les présidents ukrainien, russe et chinois pour trouver une solution au conflit qui oppose les deux premiers sous le regard bienveillant du troisième , ce président en exercice aurait alors été loué pour ses efforts au service de la paix. Mais, comme ce poste temporaire est occupé par un homme dérangeant, en l’occurrence le ministre-président de Hongrie, ce triple voyage à Kiev, Moscou et Pékin a été considéré comme une entorse aux règles européennes voire à un véritable affront.

Ursula von der Leyen n’a trouvé que les sanctions comme solution à la crise.

Analyser avant de condamner

On peut reprocher tout ou n’importe quoi à Viktor Orban mais il n’en demeure pas moins que son initiative plutôt que d’être décriée mériterait d’être davantage analysée. Décrivons les choses telles qu’elles sont. La politique européenne dans ce conflit russo-ukrainien n’est ni plus, ni moins qu’un fiasco. Plus les Américains et les Européens envoient des armes, plus la guerre s’enlise au détriment du pays censé être défendu. Depuis l’annexion de l’Ukraine en 2022, on ne cesse de nous parler du patriotisme ukrainien, or il s’avère que le président ukrainien se bat vainement pour rapatrier les soldats potentiels partis se réfugier à l’étranger et notamment en Allemagne où ils ont été accueillis les bras ouverts pour combler le manque de main d’oeuvre. Les Américains et Européens ont envoyé en Ukraine des tonnes de munitions et des milliers d’équipements à haute-technologie sans même s’interroger à savoir si les récipiendaires allaient pouvoir les utiliser. Ce n’est qu’au bout de longs mois, une éternité dans ce genre de situation, qu’il leur est venu à l’idée de former le personnel militaire. La présidente de la Commission Européenne, ancienne ministre fédérale allemande de la Défense, a profité de l’occasion pour revêtir son gilet pare-balles et aller manifester sa solidarité sur le terrain ; solidarité qu’elle a mise à profit à son retour pour exercer de nouvelles sanctions économiques contre la Fédération de Russie. Il ne s’est presque passé de mois sans qu’un nouveau paquet de sanctions (quatorze jusqu’à ce jour) ne soit décrété, ce qui n’a servi strictement à rien si ce n’est à rapprocher la Fédération de Russie de l’Empire du Milieu.

La stratégie de Viktor Orban a consisté à consulter en priorité le président urkainien.

La riposte de Poutine

Ces mesures sans précédent ont fait que la plupart des banques russes sont désormais découplées du système de paiement SWIFT. Un plafond a été instauré sur le prix du pétrole russe tout comme ont été interdits les exportations de charbon et le commerce lucratif des diamants. Pour couronner le tout, la quasi totalité des avoirs extérieurs de la banque centrale évalués à environ 300 milliards d’euros a été gelée. Mais aucun des technocrates en fonction à Bruxelles ou travaillant dans l’entourage des dirigeants occidentaux n’a pris conscience du piège qu’ils se tendaient à eux-mêmes. Malgré cette stratégie punitive, l’économie russe a enregistré en 2023 une croissance de 3,6% alors que l’Allemagne et la France dont on continue à nous dire qu’elles sont les moteurs de l’Union Européenne ont vu la leur chuter à moins 0,2% pour la première et augmenter de seulement 0,9% pour la seconde. Pour contrecarrer les sanctions, Vladimir Poutine a fait le choix d’une économie de guerre sans précédent elle-aussi depuis le démantèlement de l’Union Soviétique. Le chef du Kremlin consacre désormais plus du tiers du budget de l’Etat à cette économie. Il a amorti le choc des sanctions grâce aux paiements en roubles ce qui lui a permis de stabiliser sa monnaie. Grâce à la Chine qui lui achète beaucoup de gaz et de pétrole, il acquiert des technologies et par le truchement d’accords commerciaux avec les pays tiers que sont la Turquie, les Emirats Arabes unis mais aussi et surtout les neuf Républiques auprès desquelles il siège au sein de la Communauté des Etats Indépendants (*), il peut contourner sans difficultés majeures les sanctions européennes.

S’en est suivie une rencontre privée avec Donald Trump bien parti pour retrouver son fauteuil à la Maison Blanche.

Orban mise sur la victoire de Trump

Moralité : ces dernières causent désormais davantage de dégâts dans les économies d’Europe Occidentale et Centrale que dans celle de la Fédération de Russie. Un des seuls à en avoir eu conscience est le très décrié ministre-président de Hongrie qui alerte des dangers réels d’une possible troisième guerre mondiale. On peut naturellement contesté sa méthode qui consiste à prendre des initiatives personnelles sans consultation préalable. Mais qui fallait-il qu’il consultât ? Une présidente de la Commission qui, quand bien même serait-elle réélue, le sera à une courte majorité ? Un président du Conseil Européen, Charles Michel, qui, dépassé par les événements préfère jeter l’éponge ? Viktor Orban a fait le choix de se munir de son bâton de pèlerin , persuadé qu’il est que l’avenir lui donnera raison. Son séjour outre-atlantique s’est achevé par un entretien avec Donald Trump car il est persuadé que le rival de Joe Biden sera le prochain président des Etats-Unis. Si tel est le cas, ce qui pourrait être confirmé par la tentative d’assassinat dont il a été victime, toutes les cartes actuelles seront rebattues et personne ne sait quelle position les Républicains adopteront à l’égard d’un conflit qui se déroule à près de 8.000 kilomètres de chez eux ? Les électeurs américains , qu’ils soient républicains ou démocrates, ne se sentent impliqués dans un conflit que lorsque leurs troupes sont présentes sur le front. Qu’ils votent pour Biden ou Trump leurs préoccupations sont ailleurs. La dernière étude à grande échelle publiée par Yougov révèle que les démocrates sont sensibles aux questions liées à l’avortement et au changement climatique alors les républicains s’inquiètent de l’inflation et de l’immigration. Aucune des 1.440 personnes représentatives de l’électorat américain n’a cité la guerre en Ukraine comme sujet de préoccupation, ce qui laisse à penser que toutes estiment qu’il s’agit là d’un thème spécifique à l’Europe, un continent dont elles ne comprennent ni les structures, ni le mode de fonctionnement, ce qui est en somme tout à fait logique étant donné que les Européens eux-mêmes sont dans l’incapacité de s’y retrouver dans toutes ces commissions, présidences, vice-présidences, présidences tournantes dont ils ignorent souvent qu’elles puissent exister. La presse « mainstream » se déchaîne actuellement contre le comportement de Viktor Orban et loue la décision de la présidente de la Commission, laquelle vexée de ne pas avoir été consultée, a interdit à « ses » commissaires de participer à la visite inaugurale de la présidence hongroise à Budapest. Les caisses de la commission ne s’allégeront pas pour autant de dépenses inutiles car les dits-commissaires seront représentés par des hauts fonctionnaires. Ces comportements futiles, puérils et mesquins détruisent les fondements de l’Union Européenne qui depuis sa création n’a jamais été aussi divisée. Et beaucoup de s’étonner que près de la moitié des électeurs européens se sont abstenus lors du dernier scrutin ! (kb & vjp)

(*) Rappelons que la CEI regroupe les pays suivants : Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Kazakstan, Kirghizistan, Moldavie, Ouzbékistan, Russie, Tadjekistan, et Turkménistan. Leur population totale, hors Russie, s’élève à 103 millions d’habitants. (Nombre de mots : 1.145)

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