Quand Volkswagen éternue, l’Allemagne s’enrhume !

Allemagne/UE – Dans un entretien qu’il a accordé dimanche dernier au quotidien « Bild Zeitung», Oliver Blume, président de Volkswagen, a qualifié « d’alarmante » la situation dans laquelle se trouve le groupe qu’il dirige tout en se dispensant d’évoquer la responsabilité qu’il porte sur ce qui est considéré comme une alerte sur la future politique économique du pays tout entier.

Oliver Blume: malgré les difficultés que rencontre son groupe, sa rémunération s’élève à plus de 28.000 euros par jour !

Le groupe VW n’est pas en effet seulement le plus gros employeur industriel privé de la République Fédérale, il est le premier constructeur automobile européen et le second derrière Toyota à l’échelon mondial. Olivier Blume justifie les problèmes que rencontre actuellement VW par une baisse significative des ventes de véhicules neufs sur le vieux continent qui devient par ailleurs le marché de prédilection des constructeurs chinois ; lesquels proposent des modèles à des tarifs nettement inférieurs tout en assurant désormais une technologie comparable à celle de leurs concurrents. L’ensemble de l’industrie automobile européenne se trouve dans une situation qui n’a jamais existé auparavant et selon Oliver Blume, « l’environnement économique s’est encore durci notamment pour la marque VW », les marques Porsche et Audi ayant été jusqu’à ce jour moins frappées par la conjoncture. Alors que le groupe était parvenu à écouler chaque année près onze millions de véhicules entre 2016 et 2019 (42,84 millions au total), ce nombre a chuté de 16,7% sur les quatre exercices suivants (35,7 millions). Ce n’est pas seulement le groupe le plus emblématique de l’industrie allemande qui souffre de la situation actuelle mais aussi les milliers de sous-traitants qui honorent ses commandes. « La situation économique est extrêmement grave » a déclaré de président du patronat, Arndt Kirchhoff qui misait sur une amélioration au cours du second semestre or « c’est tout le contraire qui s’est produit et la situation a plutôt tendance à empirer ».

Le site de Volkswagen à Wolfsburg est tellement grand …
qu’il faut un mini-train pour pouvoir le parcourir.

Dérogation à la culture d’entreprise

Pour éviter le pire et préserver sa position de leader sur le marché européen, la direction du groupe a annoncé un plan d’austérité qui concernerait principalement la marque Volkswagen  et qui n’exclurait pas la fermeture de certaines unités de production ainsi qu’un  nombre conséquent  de licenciements économiques, une annonce qui a naturellement inquiète; lesquels ignorant tout des objectifs réels de leurs dirigeants. Ces derniers ont déjà résilié la convention collective pour la protection de l’emploi. Dans une lettre envoyée aux syndicats, il est précisé que le contrat expirerait à la fin de l’année et que six mois plus tard, c’est-à-dire à partir de juillet 2025, des licenciements ne seraient pas à exclure. Ces annonces ont fait l’effet d’un tremblement de terre dans tout le pays car jusqu’à présent le groupe était toujours parvenu à maintenir les emplois, y compris lorsqu’il s’est trouvé face à de graves crises, à l’instar de ce qui s’est produit, il y a quelques années avec l’affaire des moteurs truqués qui n’est pas étrangère à la baisse de popularité et de crédibilité de la marque. Mais c’est toutefois dans la Basse-Saxe que les inquiétudes s’exacerbent au plus haut point car ce land est le fief historique du groupe. Dans la ville de Wolfsbourg où a été créé Volkswagen sous l’impulsion du régime national-socialiste, où il a prospéré après la seconde mondiale et où il y détient toujours son siège, plus de la moitié des habitants travaillent chez VW, soit 70.000 salariés. Dans ce même land, le groupe dispose de cinq autres pôles de construction automobile qui dans le plupart des cas s’inscrivent eux aussi parmi les plus gros employeurs des villes où ils sont implantés. C’est le cas de Hanovre où Volkswagen emploie plus de 14.000 personnes, d’Emden (8.000), Salzgitter (7.500), Brunswick (7.400) et Osnabrück (2.300). Par ailleurs, il est important de préciser que le groupe automobile est l’un des seuls à avoir massivement investi dans les länder de l’ex-RDA et plus particulièrement dans la Saxe à Chemnitz (1.900 salariés), Dresde (340) mais aussi et surtout Zwickau où une unité de fabrication de carrosseries et de montage emploie quelque 10.000 personnes, soit plus de 10% de la population totale de cette ville très connue sous l’ère soviétique pour y avoir vu sortir de ses chaînes les fameuses Trabant.

Fabio De Masi remet en cause et la gestion de Volkswagen et celle du gouvernement en place.

Victime du tout électrique

La plus grosse erreur qu’a commise la direction du groupe a consisté à investir massivement dans des modèles électriques sans en développer un d’entrée de gamme à bon marché. Au cours du premier semestre Volkswagen n’a vendu que 170.000 véhicules électriques, soit à peine 7,5% du total des ventes enregistré sur ce créneau. Quant aux modèles classiques, ils ont connu au niveau européen une chute annuelle de 500.000 exemplaires par rapport aux années ayant précédé la pandémie. Depuis de très nombreux mois, les stocks s’accumulent et les usines tournent au ralenti. Selon le directeur financier du groupe, Arno Antlitz, lorsque Volkswagen vend désormais une voiture à 30.000 euros, seuls 700 euros de bénéfices sont alors générés. Cette faible marge bénéficiaire ne date pas d’aujourd’hui mais elle n’inquiétait pas outre-mesure car la bonne santé des marques Audi et Porsche permettait d’équilibrer les comptes voire sur certains exercices de générer de juteux bénéfices qui ont profité aux actionnaires et aux membres de la direction au premier rang desquels le président du directoire qui a été gratifié d’une hausse de salaire de 5,8% . En 2023, Oliver Blume a dépassé, en terme de rémunération, tous les patrons des plus grandes entreprises cotées en bourse. Elle s’est en effet élevée à plus 10,3 millions d’euros (plus de 28.200 euros par jour), soit respectivement 11 et 13,75% davantage que les rémunérations des PDG d’Adidas (9,18 millions) et la Deutsche Bank (9 millions). De plus en plus de voix s’élèvent contre ces méthodes de gestion qui exacerbent les inégalités dans un pays qui prétend être le berceau de la sociale-démocratie. Selon Fabio De Masi, député européen et figure de proue du parti BSW, « les menaces de fermeture d’usines sont symptomatiques de la crise de la politique économique actuelle ». Il déplore que le groupe VW ait distribué des milliards de dividendes alors qu’il est question de réduire les effectifs. « Le land de Basse-Saxe, poursuit De Masi, peut et doit imposer que ce ne soient pas les emplois mais les dividendes qui soient réduits ». Il est clair, ajoute-t-il « qu’il faut des transports moins polluants mais cela ne se fera pas uniquement avec des voitures électriques. Le bilan climatique ne s’améliore pas lorsque des personnes à hauts revenus achète des grosses cylindrées électriques comme seconde voiture pour bénéficier des primes et que, dans le même temps, nos chemins de fer ne fonctionnent plus correctement. Dans de nombreuses localités, il n’y a pas d’alternative à la voiture car les bus et les transports collectifs y sont inexistants ».

Tim Kruithoff, maire de Emden : il voit mal comment Volkwagen pourrait jeter 1,3 milliard d’investissements à la poubelle !

Des élus locaux contraints de s’en mêler

Face à cette terrible peur du lendemain que vivent actuellement des centaines de milliers de familles allemandes, les politiques qui, par tradition, se gardent de s’immiscer dans la gestion de sociétés privées, sont contraints de déroger à cette règle. Le premier a s’être manifesté est naturellement le ministre fédéral du travail, Hubertus Heil qui espère trouver les solutions afin « que tous les sites de production demeurent opérationnels ». L’une d’entre elles va consister à faire adopter une loi allégeant la fiscalité sur les voitures électriques. Quoiqu’il en soit, les plus inquiets sont les élus locaux qui risquent de se voir confronter à d’importantes pertes fiscales mais aussi à d’incommensurables problèmes sociaux. Certains sont plus optimistes ou plus exactement moins pessimistes que d’autres. C’est le cas notamment du maire sans étiquette de Emden, Tim Kruithoff, qui a du mal à imaginer comment un groupe qui a investi plus de 1,3 milliards d’euros sur sa commune pour y fabriquer quotidiennement entre 750 et 800 véhicules électriques, pourrait du jour au lendemain changer de stratégie. Mais le plus choquant dans cette crise latente que vit actuellement Volkswagen provient du fait qu’elle évolue dans le dos des salariés, ce qui est une première dans l’histoire du groupe. La présidente du comité entreprise, Daniela Cavallo, s’élève contre la remise en cause la convention élaborée en 1994 qui garantissait le maintien des emplois. Elle est sur la même longueur d’onde que Thorsten Gröger, responsable du département « métallurgie » au sein du puissant syndicat IG-Metall. Ce dernier rappelle qu’il a toujours été dans la tradition du groupe de planifier son développement en étroite collaboration avec le personnel, ce qui semble ne plus être le cas à l’heure actuelle. Le ministre-président social-démocrate de Basse-Saxe, Stephan Weil, a annoncé de son côté qu’il participerait activement aux négociations qui vont avoir lieu dans les prochaines semaines.

Hildegard Müller s’inquiète du manque de compétitivité des véhicules allemands.

Volkswagen : un cas hélas non isolé

La présidente du syndicat professionnel de l’industrie automobile, Hildegard Müller, dresse quant à elle un portrait peu reluisant de la situation lorsqu’elle déclare que « dans l’époque actuelle l’Allemagne est dans l’incapacité de produire des véhicules compétitifs ». Selon elle, les coûts du travail et la bureaucratie sont trop élevés par rapport à ceux de la plupart des pays producteurs. Les politiques imposées par Bruxelles ont imposé un coûteuse réorientation des méthodes de production. A cela s’ajoute le scepticisme des consommateurs, ce qui n’est pas le cas en Chine où les acquéreurs d’une première voiture sont encouragés par une structure de recharge des batteries parfaitement développée,  qui fait défaut en Allemagne mais aussi dans de nombreux pays européens. Mais la crise chez Volkswagen s’empirerait-elle, elle pourrait alors avoir des conséquences désastreuses pour les trois partis actuellement au pouvoir auxquels il sera reproché lors du renouvellement du Bundestag en septembre 2025 de ne pas su la prévenir encore moins de la gérer. Il ne faut pas oublier que les conflits sociaux sont toujours le terreau le plus fertile à la montée des mouvements extrémistes. En 2022, l’AfD avait déjà créé la surprise en doublant avec 18 sièges (12,3%) sa présence au sein du parlement régional de Basse-Saxe. Un an plus tard, le parti d’extrême-droite réitérait son exploit dans la Hesse en gagnant plus de cinq points à 18,4% , un score faisant de lui la seconde force politique du land après la CDU mais devant le SPD et l’Alliance-les Verts. Ces résultats prouvent que la montée de l’AfD n’est plus un phénomène perceptible dans la seule ex-RDA mais dans le pays tout entier. (kb & vjp)

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