Les mamies teutonnes s’en vont en guerre

Allemagne/Autriche – L’image de la grand-mère accompagnant ses petits-enfants dans un jardin public, conversant avec ses voisines sur un marché ou se faisant la plus belle possible pour se rendre à un repas de Noël ou à un anniversaire, en a pris un sérieux coup derrière la tête ce week-end en Allemagne et plus exactement à Erfurt, capitale du land de Thuringe, où s’est déroulé le premier congrès fédéral des grands-mères contre la droite.

Les grands-mères allemandes se mobilisent contre l’ascension de l’extrême-droite.

Ces femmes dans leur grande majorité à la retraite sont lasses d’assister passivement au tournant politique que s’apprête à prendre leur pays où le parti d’extrême-droite AfD s’affiche déjà comme le grand vainqueur du prochain scrutin aux élections régionales qui aura lieu le 1er septembre en Thuringe mais aussi dans la Saxe. Le mouvement « Omas gegen Rechts » (« Grands-mères contre la droite »), ne date pas d’aujourd’hui. Il a été créé en 2018, soit un an après qu’une initiative comparable avait vu le jour en Autriche au lendemain de la formation d’un gouvernement de coalition réunissant les conservateurs de l’ÖVP (Österreichische Volkspartei) au parti populiste de droite FPÖ. En réaction à cette alliance qu’elle estimait contre-nature, la théologienne et psycho-thérapeute Monika Salzer, très engagée à Vienne dans les causes sociales et humanitaires, décida de passer à l’action de manière naturellement pacifique en fondant « Omas gegen rechts », un mouvement de « personnes âgées » qui a fait des émules quelques mois plus tard de l’autre côté du Danube.

Monika Salzer, théologienne autrichienne à l’origine du mouvement.
Anna Ohnweiler, après la dictature roumaine, place à la démocratie occidentale.

Des retraitées dans le vent !

La figure de proue de l’antenne allemande s’appelle Anna Ohnweiler. D’origine roumaine, elle a fui la dictature de son pays en 1979 pour s’installer à Nagold, petite ville de 22.000 habitants située dans le nord de la Forêt Noire mais aussi à proximité du camp de concentration de Grafeneck, spécialement conçu pour exterminer les personnes handicapées. Nagold s’inscrivait parmi les hauts lieux de l’idéologie nationale socialiste et Anna Ohnweiler a toujours du mal à comprendre pourquoi les discours révisionnistes de l’AfD recueillent encore et toujours l’approbation d’un nombre croissant d’habitants. Les membres ou plus exactement les militants de « Omas gegen rechts » ont vu leurs grands parents broyés par l’idéologie nazie, leurs parents en réparer pendant des décennies les dégâts, eux-mêmes se sont battus pour redorer le blason de leurs pays meurtris et voilà que désormais ils se voient confrontés aux mêmes épreuves. A cette réalité qui se manifeste par un nombre croissant d’actes racistes et antisémites, ils se font un devoir d’y mettre un terme. Ils ne se contentent plus de voter mais veulent agir sur le terrain. Ils ont beau avoir allègrement dépassé les âges de 60, 70 voire 80 ans, ils se sentent encore suffisamment jeunes pour jouer le rôle de défenseurs de la démocratie. Ils récusent l’image du vieillard qui radote et préfèrent se familiariser avec la force de frappe des réseaux sociaux. Anna Ohnweiler a créé son compte Facebook « Grandmas Against the Right » sur lequel se sont connectés des milliers de personnes qui partagent les mêmes idées qu’elle. Le mouvement a connu aussitôt un large écho dans les deux pays fondateurs mais aussi un peu partout dans le monde car c’est la première fois que des personnes qu’on n’écoute plus ou qu’on ne veut plus écouter car elles sont trop lucides, prennent leur bâton de pèlerin pour alerter une population de plus en plus amorphe et de fait facile à manipuler.

Le mouvement « Omas gegen rechts » est parvenu à faire condamner le militant d’exrrême-droite, Sven Liebich.

Une note d’espérance

Le temps presse car dans à peine un mois les parlements des lands de Thuringe et de Saxe vont être renouvelés et si on se fie aux enquêtes d’opinion, il est fort possible que l’AfD franchisse dans au moins l’un d’entre eux, vraisemblablement le premier, la barre des 30% des suffrages ce qui fera de ce parti la première force politique de la région. Ce résultat, s’il avérait, marquerait alors un tournant dans l’histoire de la République Fédérale qui s’imaginait avoir pris toutes les dispositions afin que ne resurgissent pas ses vieux démons. Les grands-mères ont tenu leur premier congrès le week-end dernier à Erfurt et sont parvenues à mobiliser plus de 800 personnes, un succès phénoménal et une belle revanche pour Anna Ohnweiler qui, en 2018, avait manifesté, seule à Stuttgart avec une pancarte, pour dénoncer l’élection du député AfD Stefan Räpple au Parlement de Bade-Wurtemberg. Depuis sa création, le mouvement « Omas gegen rechts » a obtenu un certain nombre de résultats. Il est parvenu à convaincre la Berliner Volksbank de fermer le compte ouvert par l’AfD pour récolter ses dons mais aussi à faire condamner le néo-nazi Sven Lieblich pour sédition, calomnie et apologie de crimes racistes. Son prochain objectif va consister à s’internationaliser, une tâche facilement réalisable, étant donné que des contacts ont déjà été établis en République Tchèque, en Pologne, aux Pays-Bas et en Suisse. Il arrive ainsi que parfois, la vieillesse loin d’être un naufrage, soit source d’espérance ! (kb & vjp)

 

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