La ministre de l’Intérieur allemande face à trois revers

Allemagne – L’interdiction du magazine « Compact » qui a fait sa réputation en propageant des discours racistes, antisémites et homophobes, a été temporairement suspendue par le Tribunal Administratif Fédéral. Cette décision est un revers pour la ministre sociale-démocrate de l’Intérieur qui avait engagé une procédure accélérée afin de contrer l’inquiétante percée de l’extrême-droite dans son pays. Deux autres projets de loi initiés par Nancy Faeser risquent également de passer à la trappe.

Jürgen Elsässer se bat pour une Allemagne n’appartenant qu’aux Allemands !

« Le plus grand triomphe de l’histoire » !

Personne n’est dupe de l’objectif de la ministre Nancy Faeser qui s’en est pris à « Compact » pour prouver que sa principale mission consistait à protéger les démocratie. Or, il s’avère qu’à la lecture des contenus de l’organe de presse ciblé, ces derniers ne violent pas l’article I, paragraphe I de la Loi Fondamentale qui stipule que « la dignité humaine est inviolable et que la respecter et la protéger est l’obligation de toutes les autorités de l’Etat. » Certes, certains articles publiés par le magazine pourraient éveiller des soupçons mais pas au point d’être répréhensibles. Le tribunal administratif fédéral semble avoir privilégié la liberté de la presse et la liberté d’expression, un parti pris qui s’explique, en partie, par le fait que « Compact » est géré sous un statut associatif. La décision est, rappelons-le, temporaire mais elle a l’avantage pour l’éditeur de l’autoriser à poursuivre ses activités que ce soit sur support papier ou par le truchement de son service en ligne. Selon Jürgen Elsässer, rédacteur en chef, le jugement rendu et « le plus grand triomphe de l’histoire de l’après-guerre » . Comparant son combat à celui de « David contre Goliath » et misant sur les lenteurs de la justice , il a déclaré : « Nous pouvons désormais continuer à travailler en paix pendant au moins deux à trois ans».  Elsässer a parlé d’un « grand jour pour la liberté de la presse ». Ce « grand jour » risque de porter ses fruits à court et moyen termes, dès l’automne prochain dans les trois länder de l’ex-RDA où se déroulent les élections régionales et où le parti d’extrême-droite AfD est déjà présenté comme le grand vainqueur, mais aussi dans un peu plus d’un an à l’occasion du renouvellement du Bundestag.

Nancy Faeser, ministre fédérale de l’Intérieur, est face à trois défis et non des moindres.
Le ministre fédéral de la Justice veut respecter à la lettre la Loi Fondamentale.

Pas de barbouzes en Allemagne

Mais le 15 août, soit quelques jours après que l’affaire Compact a été momentanément classée, c’est avec son projet de loi, dite « loi sniffing », que la ministre de l’Intérieur a été priée par son collègue en charge de la justice, le libéral Marco Buschmann, non seulement de revoir sa copie mais de la jeter purement et simplement dans la corbeille. Nancy Faeser proposait en effet dans son texte un élargissement des pouvoirs de l’Office Fédéral de la Criminalité (BKA : Bundeskriminalamt), lequel serait autorisé, non seulement à effectuer des perquisitions secrètes dans des domiciles privés mais à y installer des logiciels d’espionnage sur tous les appareils numériques. En France, on appelle çà une « méthode de barbouzes » mais ce terme n’existant pas dans la langue de Goethe, les Allemands n’ont eu d’autre choix que de recourir à celle plus châtiée de Shakespeare et d’adopter le « sniffing » dans le langage courant. Mme Nancy Faeser, en mijotant son texte, semble avoir pensé à tout sauf au fait que le « reniflage » n’est pas inscrit dans la loi fondamentale. Pour lutter contre le terrorisme international dont sa loi était l’objectif, elle va devoir se contenter des moyens dont dispose déjà le BKA avec ses agents qui ne sont pas rémunérés pour s’immiscer clandestinement dans des appartements ou des maisons particulières (*). Marco Buschmann a été formel en déclarant « en tant que ministre constitutionnel, je rejette de telles idées et si quelqu’un veut sérieusement proposer une telle proposition, elle ne sera pas adoptée par mon cabinet et elle ne recueillera pas non plus une majorité au Parlement».

Gottfried Curio promeut un discours faisant l’amalgame entre migration et délinquance.

Une querelle à couteaux tirés

Jamais deux sans trois et le meilleur est pour la fin. Pour mettre un terme aux attaques au couteau qui sont devenues coutumières dans son pays, Nancy Faeser a cru trouver la solution miracle en voulant interdire la vente de couteaux dont la longueur de  lame est supérieure à six centimètres. Elle préconise par ailleurs l’interdiction de couteaux à cran d’arrêt qui se déclenchent automatiquement en appuyant sur un bouton. Quand bien même ces mesures seraient-elles adoptées, elles ne mettront pas pour autant fin aux délits. Au contraire, le risque est grand que les délinquants potentiels recourent alors à d’autres moyens. Quiconque veut blesser autrui, dispose d’une panoplie d’outils allant du tournevis au marteau en passant par des bouteilles cassées. Par ailleurs, il n’est pas toujours facile pour la police d’interpeller des personnes munies d’une arme à feu,  comment pourrait-elle y parvenir avec des armes blanches disponibles à plusieurs exemplaires dans toutes les cuisines du pays et dans tous les magasins de bricolage ? Faudra-t-il demander aux parents de vérifier chaque jour leurs tiroirs pour savoir si leur bambin a rejoint l’école avec le couteau dont il s’est servi la veille pour découper son steack ? Nancy Faeser semble avoir été motivée par l’assassinat en juin dernier à Mannheim du jeune policier Rouven L. sauvagement poignardé après avoir voulu protéger des passants de l’assaut d’un jeune Afghan. Ce drame fit la une des journaux et permit aux leaders du parti d’extrême-droite AfD d’exacerber les discours anti-migration. La proposition de la ministre est à la fois irréalisable et irréaliste étant donné qu’une lame de six centimètres de long suffit pour égorger un victime et lui trancher la carotide ou d’autre organes vitaux situés à proximité de la peau. Le nombre de délits et de meurtres commis à l’arme blanche inquiète les ministres de l’Intérieur de tous les länder et plus particulièrement à Berlin où il a connu une augmentation de 40% en l’espace d’une décennie, passant de 2.500 en 2013 à 3.500 en 2023, soit près de dix attaques par jour. La tendance se maintient à la hausse comme le déplore Ulrich Stockle, directeur du centre de chirurgie musculo-squelettique à l’hôpital de la Charité , un service qui a dû traiter autant de cas au cours du premier semestre 2024 que sur l’ensemble de l’année précédente. 54,6% des actes commis en 2023, soit 4.890 délits ont été motivés par des vols. Pour près de la moitié des faits, il s’agissait de violence purement gratuite. Quelles sont les motivations réelles de cette nouvelle génération de délinquants ? Les avis sont partagés. Certains les imputent à la pandémie qui aurait permis pendant le confinement à des jeunes gens de s’abreuver d’images violentes diffusées en boucle sur les réseaux sociaux. D’autres, à l’instar du professeur Dirk Bauer, les expliquent de manière beaucoup plus profonde. Ce spécialiste de la violence et de la délinquance juvénile a défini le profil des personnes qui passent à l’acte et qui dans la majorité des cas ne réussissent pas sur le plan sportif, échouent sur le plan scolaire et sont à la recherche d’une identité qui est exacerbée par le climat de guerre dans lequel nous vivons. Face à de tels cas, aucune loi ne peut être dissuasive comme ne seront jamais efficaces le zones d’interdiction d’armes que Nancy Faeser recommande de créer dans des quartiers sensibles. Cette mesure qui a déjà été expérimentée dans quatre quartiers berlinois a permis de ne saisir que onze couteaux lors de 930 contrôles d’identité, un maigre résultat qui fait dire à Dirk Bauer que « les contrôles ont un certain effet dissuasif mais qu’à long terme ils ne constituent pas une solution ». Que Nancy Faeser soit sous pression à la vielle d’élections régionales qui vont faire figure de test pour celles, fédérale, de 2025, est une évidence. Cette tension est entretenue au Bundestag par les représentants de l’AfD, et plus particulièrement par Gottfried Curio, porte-parole de son groupe en charge de la politique intérieure. Selon lui, « l’immigration de masse est une immigration au couteau », ce qui est démenti par les données 2022 qui ont prouvé que sur 2.428 suspects, 1.194 (49%) étaient de nationalité allemande, ce qui semble démonter que cette nouvelle forme de violence au couteau n’est plus un problème marginal mais un véritable problème de société qui sera loin d’être résolu avec l’adoption d’un loi trop vite élaborée pour porter ses fruits. (kb & vjp)

(*) Installer des micros dans des lieux privés à l’insu de leurs occupants, était une méthode courante dans l’ex-République Démocratique Allemande utilisée par les agents de la police secréte (STASI) pour espionner les moindres faits, gestes et paroles de personnes soupçonnées de dissidence. Ce genre d’agissement est par conséquent extrêmement sensible en Allemagne. (Nombre de mots : 1.440)

error: Content is protected !!