Enfin, un vice-président européen singulier et lucide !

Roumanie/EU – Parmi les quatorze vice-présidents du Parlement Européen, deux sont de nationalité roumaine, Viktor Negrescu et Nicu Stefanuta. Alors que le premier a été élu sous la bannière du parti social-démocrate, le second a tenu à se présenter de manière totalement libre c’est-à-dire indépendamment du groupe Renouveau auquel il adhérait à Strasbourg lors de son premier mandat entre 2019 et 2024. Nicu Stefanuta âgé de 42 ans, est un homme politique atypique dans le sens où il est un des rares députés voire peut-être le seul, à avoir placé au cœur de son programme, les problèmes frappant les jeunes générations européennes. Ce n’est pas grâce à des mécènes ou  des sponsors encore moins à sa famille (il n’est pas issu d’un milieu aisé) qu’il est parvenu à se faire élire avec tout de même plus de 3% des suffrages exprimés, mais en convainquant un millier de personnes de le suivre dans son aventure. Autant de bénévoles qui l’ont accompagné sur le terrain, dans des villes de toutes tailles pour rencontrer des électeurs et électrices potentiel(le)s et les convaincre qu’un monde meilleur et une Europe plus juste sont possibles. Né en 2004 près de Sibiu, Nicu Stefanuta, est sorti diplômé en économie de l’Université de Timisoara. Il s’est ensuite inscrit par la suite à l’Université de Vienne d’où il est ressorti avec un master en études européennes. Fort de ce double bagage, il a alors intégré l’Université de Georgetown à Washington, ce qui lui permet d’être titulaire d’un second master en gestion des politiques publiques. En 2018, il a été chargé en tant que diplomate d’assurer la liaison entre le Forum Européen et le Congrès américain, une fonction qu’il a quittée en 2019 pour se présenter aux élections européennes sur la liste du parti USR PLUS dont il démissionnera pour celui des Verts/Alliance libre européenne, une formation dont il se sentait plus proche. Si, en 2024, il a décidé de s’engager seul dans la bataille européenne, c’est parce qu’il est convaincu qu’une nouvelle Europe est à construire, une Europe qui doit prioritairement tenir compte des préoccupations majeures de la jeunesse. Dans une interview qu’il a récemment accordée Serban Capatava, journaliste à l’Allgemeine Deutsche Zeitung (ADZ) , Nicu Stefanuta explique comment il a mené et réussi une campagne qui lui a permis de sensibiliser plus de 300.000 de ses compatriotes, dont la plupart ne semblent plus se retrouver dans les formations politiques classiques. C’est par solidarité avec cet élu dont le mode de pensée nous a séduit que nous avons tenu à publier cet entretien en français et ce, tout en espérant que les idées de cet homme atypique franchiront le plus rapidement possible les frontières de la Roumanie.

Nicu Stefanuta n’a pas fait campagne, cravaté et costumé, sur les plateaux de télévision mais dans la rue pour être en contact direct avec ses électeurs.

ADZ : Tous les efforts que vous avez déployés pendant des mois ont certainement porté leurs fruits…

NS – En effet, je suis très satisfait de ce résultat. Les presque 300 000 voix m’ont permis d’entrer au Parlement européen, où j’ai désormais plus de pouvoir pour changer certaines choses. Tous ceux qui ont des voix directes ont aussi leur mot à dire. Ce n’est pas une petite chose !

ADZ – Comment s’est déroulée votre campagne en tant que candidat indépendant, c’est-à-dire avec peu de ressources ?

NS – Cela a été une activité très sérieuse et tenace, que nous avons menée pendant plus d’un an. Nous avons commencé la campagne très tôt. J’ai annoncé mon plan à Hanau (*), lors d’une réunion de la diaspora roumaine, en 2022. Et ensuite, nous avons simplement suivi le plan avec persévérance, étape par étape : nous avons préparé l’infrastructure, formé les personnes sur place, défini et formé des coordinateurs à tous les niveaux. Tout d’abord, j’ai dû faire campagne autour de mes volontaires et cela n’a pas été une mince affaire. En fin de compte, nous avions une équipe de près de 1000 personnes pendant la campagne. Ce n’est pas rien. C’est presque comme un parti. Et ensemble, nous avons préparé tout ce que nous pouvions préparer. Notre budget était en fait assez faible. Avec ma famille, j’en ai sponsorisé près de 80 %. Ensuite, nous avons préparé du matériel, nous avons organisé des événements, nous avons établi de très bonnes relations avec des influenceurs qui, en fin de compte, nous ont également aidés.

ADZ – Vous avez principalement mené votre campagne « dans la rue ». Vous étiez en fait le seul candidat agissant de la sorte ?

NS – Je n’avais pas d’argent pour la télévision. Au cas où vous ne le sauriez pas mais une minute de télévision pendant la campagne coûtait 3000 euros, de l’argent que nous n’avions pas. Notre seule solution était en fait de descendre dans la rue. Je continue de penser que cette approche est la meilleure en politique. Utiliser TikTok ou la télévision ne sert à rien si nous ne parlons pas directement aux gens. Les électeurs aiment toujours rencontrer les candidats en personne.

ADZ – Y compris la Génération Z, cette jeunesse qui est scotchée à l’écran tactile ?

NS – C’est là un stéréotype noir, si je peux me permettre de le dire. Les jeunes aussi souhaitent des relations humaines, les jeunes aussi veulent être écoutés par quelqu’un. Sans la GenZ, je n’aurais pas gagné. Elle représente la grande majorité de mes volontaires. La GenZ, dont tout le monde pense qu’elle est accrochée à son portable, n’était pas du tout accrochée à son portable : ils étaient dans la rue avec moi. J’ai parlé avec les jeunes. Même si certains étaient introvertis ou traversaient une dépression, beaucoup m’ont fait part de leur détresse. Pour eux, il était très important de trouver un but supérieur, de voir une politique qui soit en accord avec leur état d’esprit. Cela a beaucoup compté pour eux. Je vous prie de me croire : la GenZ est très attentive et écoute attentivement le message que vous envoyez. Pendant des années, j’ai écouté les problèmes des jeunes et je savais exactement ce qui les tracassait. Et j’ai pu calibrer mon message en fonction de leurs besoins. Je n’ai pas diffusé de slogans généraux sans contenu, mais je me suis présenté avec des messages extrêmement honnêtes et très, très pertinents et parlants.

ADZ – Vous souvenez-vous de situations amusantes ou peut-être moins amusantes pendant la campagne ?

NS – Bien sûr que oui. Il y en a eu tellement (sourires). Permettez-moi de vous en raconter une brièvement. Un jour, un de mes bénévoles, qui fait partie de la communauté gay, a essayé de convaincre une dame de signer pour nous. Juste une remarque intermédiaire : j’ai beaucoup de détracteurs parce que je soutiens la communauté gay, d’autant plus que beaucoup de gens ne sont toujours pas très ouverts à ce sujet. Beaucoup pensent que l’on ne soutient une certaine communauté que si l’on fait soi-même partie de cette communauté. Mais c’est complètement faux, car les hommes peuvent aussi soutenir les droits des femmes, à titre d’exemple. Cette dame a donc dit à mon bénévole : « Je signe pour toi parce que tu es beau, mais pas pour ton patron qui est gay ». Cela nous a tous fait sourire, car la réponse de mon bénévole a été : « Vous savez, chère dame, en fait, c’est moi qui suis gay et mon patron qui est beau ». Bien sûr, la dame a aussi souri ! Elle a ensuite signé. Il y a eu beaucoup de situations amusantes de ce genre. Mais il y a aussi eu des incidents moins drôles. Plusieurs fois, nous avons failli être battus par des « opposants ». Un homme avec un fort accent russe et m’a rendu visite avec des pensées et des propos malveillants. Il est arrivé plusieurs fois que la police locale ne nous autorise pas à exercer notre activité. Très souvent, des gardes de sécurité dans des centres commerciaux ou sur des campus universitaires nous ont fait partir. Une fois, j’ai failli me faire tabasser par les gendarmes avec quelques volontaires alors que nous nous étions infiltré de manière imprévue dans  une manifestation pro-palestinienne. Et je ne veux absolument pas parler des quinze tentes que nous avons achetées et que nous avons retrouvées au petit matin découpées au couteau. Il s’agissait de tentes que nous avions pu payer avec nos propres deniers…

ADZ – Vous attendiez-vous à gagner les élections ? Vous attendiez-vous à devenir l’un des vice-présidents du Parlement européen ?

NS – Honnêtement, oui. Comme je l’ai déjà dit, un vote direct et uninominal de la part de près de 300.000 personnes est extrêmement important et puissant. C’est pourquoi les maires sont également très appréciés : ils sont eux aussi élus directement et à l’unanimité par les citoyens. Pour beaucoup, notre campagne en Roumanie a été une grande surprise. Mais je me suis battu très fort pour mon siège et j’ai remporté la nomination par 27 voix contre 25 au sein du groupe des Verts. Ce qui m’a surpris, c’est ma nomination en plénière dès le premier tour. Mais cela m’a fait plaisir. Juste pour que vous le sachiez : toute l’Europe a entendu parler de notre campagne électorale en Roumanie.

« Les électeurs ne savaient pas ce que signifiait cette élection, pourquoi ils devaient signer quelque part avec un stylo, comment il fallait voter, qui avait le droit de vote et où. Nous devions informer le public. Nous avons payé des milliers d’euros pour de telles activités d’information, qui auraient dû être menées par l’État. »

ADZ – Je veux bien vous croire car lors de séjours en Suisse, en Autriche et en Italie  j’ai entendu parler de votre campagne…

NS – C’est normal. Nous avons effectivement mené notre campagne dans la rue. Je ne sais pas pourquoi tant de gens pensent que notre campagne s’est déroulée via Instagram ou TikTok. Nous étions principalement dans la rue. Nous avons également fait beaucoup de travail d’éducation, une activité qui devrait normalement être du ressort de l’État. Les électeurs ne savaient pas ce que signifiait cette élection, pourquoi ils devaient signer quelque part avec un stylo, comment il fallait voter, qui avait le droit de vote et où. Nous devions informer le public. Nous avons payé des milliers d’euros pour de telles activités d’information, qui auraient dû être menées par l’État.

ADZ – Jusqu’où estimez-vous pouvoir aller avec les projets abordés pendant la campagne et ainsi faire bouger l’appareil d’État ?

NS – Nous avons abordé dix thèmes pendant la campagne. Mais aucune personne seule n’a le pouvoir de mener à bien tous ces projets. Premièrement, nous devons renforcer la politique progressiste en Roumanie. J’ai besoin de plus d’alliés, aussi bien au Parlement roumain que dans les autorités et autres organisations. Mais ce qui est important, c’est le fait que les thèmes que j’ai abordés sont actuellement devenus « mainstream ». Par exemple, le Parlement européen va mettre en place une commission sur le logement : le « Housing Crisis ». J’ai été le seul en Roumanie à en parler pendant la campagne, ce n’est que maintenant que d’autres ont commencé à le faire. La santé mentale est également ultra-importante au niveau de l’UE. Nous avons parlé en commission du budget spécifique voué de à la santé mentale. Le droit à l’avortement, que j’ai évoqué en Roumanie, est une initiative européenne qui a déjà recueilli plus d’un million de signatures : « My Voice, My Choice ». Dans tous ces domaines, il se passe déjà quelque chose. Car ce sont des thèmes pertinents, importants et quotidiens, ce ne sont pas des fantaisies. Ce sont des thèmes extrêmement parlants.

ADZ – Mais pensez-vous qu’elles seront également introduites au niveau national ? Je pense par exemple aux demandes controversées de partenariat civil pour les couples de même sexe ou encore aux droits des femmes …..

NS – Il n’y a aucun doute à ce sujet. La Cour européenne des droits de l’homme a déjà obligé la Roumanie à trouver une solution pour le partenariat civil. En fait, cette solution aurait déjà dû être disponible. Et si nous n’agissons pas rapidement, notre pays pourrait devoir payer de lourdes amendes et subir d’autres conséquences. Jusqu’à présent, notre État a préféré payer ces amendes plutôt que de changer les choses. Mais je ne pense pas que la Roumanie puisse continuer à se permettre d’assumer ces conséquences. Je suis donc plutôt confiant quant à l’introduction du partenariat civil dans les cinq prochaines années. En effet, les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme sont contraignants.

NS – Le Parlement européen compte au total 14 vice-présidents, dont deux sont roumains. Comment cela s’explique-t-il ?

NS – Les vice-présidents n’ont pas été élus par les pays, mais par les délégations. La délégation de Victor Negrescu est très importante, c’est l’une des plus grandes du Parlement européen et elle siège au service de la famille socialiste. Moi, avec ma victoire spectaculaire, j’ai eu le soutien des Verts. Il y a donc une explication électorale à ces deux postes. Mais pour en revenir à l’essentiel, le choix de l’individu compte vraiment.

ADZ – Beaucoup estiment qu’en tant que « Vert », vous ne vous préoccupez que d’environnement…

NS- Nous, les Verts, ne nous préoccupons certainement pas uniquement de l’environnement. Regardez ma campagne : elle était progressiste et abordait les problèmes réels des citoyens. En principe, les Verts ne sont pas seulement préoccupés par l’environnement, ils sont progressistes, au centre-gauche. Je ne trouve pas honteux d’être au centre-gauche de l’échiquier politique roumain. C’est pourquoi j’ai parlé de la crise aiguë du logement, de la santé mentale, des transports et des nombreux problèmes de santé et autres qu’ils causent, de la protection des femmes et de l’avortement. C’est pourquoi j’ai abordé tous ces thèmes dans la campagne, et pas seulement l’environnement.

ADZ – Souhaitez-vous rester indépendant à l’avenir ou rassembler davantage de forces et peut-être créer votre propre parti ?

NS – C’est ce que je déciderai avec les bénévoles. Je ne peux pas décider seul de la création d’un parti progressiste. Il faut savoir qu’en Roumanie aussi, il y a des voix modernes qui doivent être représentées. Il y a des voix progressistes. La Roumanie n’est pas un pays qui vit uniquement sur des traditions et dans le passé. C’est un pays moderne. Et dans ce pays, la jeunesse est très importante. La jeunesse est impliquée. La jeunesse n’est pas paresseuse ! La jeunesse est en fait déprimée parce qu’il y a une peur par rapport à l’avenir. Mais je demande à tout le monde de ne pas tomber dans le stéréotype de la généralisation. Ce qui « vient par derrière » est de très bonne qualité et je m’en réjouis.

(*) Ville située en Allemagne dans le land de Hesse, où la diaspora roumaine n’a cessé de prospérer au cours des vingt dernières années.

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